mardi 13 octobre 2009

Haro sur les hauts talons, par Virginie Malingre - LeMonde.fr

La guerre en Afghanistan vient de tuer son 221e soldat de sa Majesté. Le chômage s'envole, il pourrait bientôt toucher 3 millions de personnes. Les finances publiques du Royaume sont catastrophiques et la dette de l'Etat devrait représenter 80 % de la richesse nationale d'ici à 2014. Le Labour est au plus bas dans les sondages après treize ans de travaillisme.

Qu'importe ! Les syndicats britanniques ne se laisseront pas détourner de leur nouvelle mission : bannir les talons hauts au travail. Lors de son rendez-vous annuel, le 15 septembre, le Trade Union Congress (TUC), qui fédère la plupart d'entre eux, a voté une motion sous les applaudissements de la salle : "Les talons hauts sont glamour sur les podiums de Hollywood. Mais ils sont totalement inappropriés dans le monde du travail."

Ces employeurs qui obligeraient leurs salariées à marcher plusieurs centimètres au-dessus de la terre ont été hués. Et même si rien ne prouve à ce jour qu'elles soient effectivement contraintes de porter le talon haut, les hôtesses de l'air, les banquières de la City ou les vendeuses des magasins chics de Bond Street font désormais l'objet de toute la compassion syndicale britannique. D'autant qu'il y a là un combat féministe à mener, affirme le TUC, puisque les hommes, eux, sont chaussés à plat. La talonnette est bien autorisée, s'ils veulent se rehausser, mais la décision leur en incombe entièrement.

L'enjeu avait manifestement échappé à Gordon Brown qui, quelques minutes plus tôt, tentait d'expliquer aux partenaires sociaux de son pays que l'heure était aux "choix difficiles" et à la "réduction des dépenses publiques". Pour le premier ministre travailliste, il s'agissait de convaincre son auditoire du bien-fondé de sa démarche alors qu'une élection est prévue d'ici à mai 2010. Et d'éviter que les syndicats, qui financent le Labour à hauteur de 70 %, lui tournent le dos.

"Ce n'est pas un problème trivial", a soutenu Lorraine Jones, de la Société des pédicures et podologues, qui était là pour présenter les dangers de l'affaire. "Deux millions de journées de travail sont perdues chaque année à cause de problèmes aux pieds et aux membres inférieurs ", en grande partie à cause de ces satanés talons. Et d'énumérer les maux du genou, les cornes et les oignons sur les pieds... qui font perdre 300 millions de livres à l'économie britannique chaque année.

"Danger : les talons hauts au travail. Le débat est ouvert", titrait ironiquement en "une" le Times, le 16 septembre. Le quotidien conservateur, comme l'ensemble de ses concurrents, a volé au secours des talons hauts. "Courir en talons est une manière pour les femmes de se réaliser, le triomphe de la grâce sous pression", écrit sa collaboratrice Janice Turner. "Ils sont sexy et je les aime", avoue pour sa part David Mitchell dans l'Observer. "Porter des talons est l'une des grandes joies des femmes, juge Jenni Russel dans le Guardian. Ils font aussi partie de l'uniforme des femmes au travail. Ils disent : je suis une professionnelle." La journaliste estime que "c'est l'une des grandes erreurs de la gauche en Grande-Bretagne de penser qu'en éliminant les différences sexuelles le monde sera meilleur et plus égalitaire".

A Westminster, les créations de Jimmy Choo et autres chausseurs pour dames ont trouvé leur pasionaria. Nadine Dorries, députée tory, s'en explique sur son blog : "La Chambre des communes est dominée par les hommes. Et ces hommes sont des tueurs. Je mesure 5 foot 3 inches et j'ai besoin de chaque centimètre de mes Louboutin pour regarder mes collègues hommes dans les yeux." Avant de conclure : "Si les talons étaient interdits à Westminster, personne ne me verrait."

Il n'existe pas de statistiques sur le port de talons hauts en Grande-Bretagne ou ailleurs. Mais il ne fait aucun doute que les jeunes femmes britanniques en sont fans. Le samedi soir, à Londres ou ailleurs, on les voit déambuler, haut perchées, la démarche parfois mal assurée. Qu'il pleuve, qu'il vente, comme Purdey dans "Chapeau melon et bottes de cuir", elles mettent un point d'honneur à tenir debout.

Il est un signe de cet engouement britannique pour les talons hauts : la place que la presse leur accorde. C'est l'un de ses dadas, au même titre que les chats ou les écureuils. Le Guardian, depuis le début de l'année, a publié 148 articles qui mentionnent ces chaussures exclusivement féminines. En 2008, il y en a eu 183, pour 169 en 2007. A titre de comparaison, Le Monde, depuis neuf mois, les a évoquées dans... 15 papiers. Même le très sérieux Financial Times fait mieux.

Toute occasion est bonne à prendre. Le retour de congé maternité de Rachida Dati, ancienne ministre de la justice de Nicolas Sarkozy, en tailleur Dior et en talons hauts. Un procès contre une Anglaise qui a refusé d'ôter ses bottes à talons pour effectuer les travaux d'intérêt général auxquels elle avait été préalablement condamnée. Ou encore un manuel du savoir marcher haut perchée sans se faire mal. Le Guardian conseille à ses lectrices un Nurofen environ pour 10 cm de talon. Sans parler de l'enquête sur le terrain qu'a menée une journaliste du Financial Times, en prenant un cours de trois heures sur l'art et la manière de porter des talons sans danger. Et si le TUC demandait qu'il soit pris en charge par le National Health Service...

Courriel : malingre@lemonde.fr.

Virginie Malingre
Article paru dans l'édition du 13.10.09
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